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Dossier 9 mars 2018

Toilette d’hiver au phare de Cordouan

[REPORTAGE]

Les travaux de la partie la plus ancienne du phare s'achèvent fin mars. Cet hiver, en plein vent, sous la neige, les équipes s'affairent.

Janvier, 0°, plein vent d’est. A 30 mètres au-dessus du niveau de la mer, les doigts gèlent. Ceux des tailleurs de pierre, eux, ne faiblissent pas. Juchés sur l’échafaudage qui ceinture le phare de Cordouan, ils martèlent le calcaire. Les mascarons reprennent vie et le regard des figures sculptées une expression effacée par des siècles d’embruns.

De novembre à mars, chaque hiver depuis 2013, le phare de Cordouan se refait une beauté. Au total, de 2013 à 2019, environ 2,8 millions d’euros auront été investis pour restaurer l’extérieur et l’intérieur du premier phare classé au titre des monuments historiques par la liste de 1862. Candidat à un classement au patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, il est le plus ancien des phares français encore en activité et l’un des derniers phares en mer encore visitables.

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Au XVIIe siècle, le phare de Cordouan était déjà cartographié

Ce matin-là, comme tous les quinze jours, le navire des Phares et balises amène l’équipe sur place pour la réunion de chantier de restauration de la  partie la plus ancienne du phare (XVIe siècle). Départ du port du Verdon à 8h30, retour prévu pour midi. « La marée ne nous laisse qu’environ deux heures au phare » résume Franck Lamendin, architecte assistant de Michel Goutal, architecte en chef des Monuments Historiques, chargé du suivi de l’exécution des travaux. Si les hommes arrivent sur site par voie de mer, les matériaux prennent l’air.

« Cet hiver, nous avons transporté 140 tonnes de matériaux et gravats par hélicoptère. »

Michaël Caperaa, responsable de l’agence de Saintes de l’entreprise de restauration des Monuments historiques Hory-Chauvelin, intervient sur ce chantier depuis trois ans. Cinq compagnons oeuvrent, du lundi au vendredi, sur ce chantier en pleine mer.

Sur les traces de Louis de Foix et  de l’architecte Teulère

Trois tailleurs de pierre, dont un meilleur apprentis de France et un ayant réalisé un tour de France, ainsi que deux maçons partagent le quotidien des gardiens du phare. « Même si notre métier consiste à réhabiliter des édifices incroyables, travailler ici est une expérience unique, avoue Michaël Caperaa. On se rend compte à quel point les constructeurs l’ont soigné quand ils l’ont construit. Il est émouvant de se dire que nous travaillons dans les mêmes conditions météorologiques que les gens des époques de construction. »

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Ce plan de coupe du phare montre les différents étage et la chapelle avec sa voûte décorée

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Le premier édifice, la Tour du Prince Noir  a été élevée dans les années 1360 puis abandonnée. Les bases du phare actuel ont été édifiées entre 1582 et 1611, par une décision du roi Henri III  puis poursuivis par Henri IV. Pour édifier la plateforme hors d’eau, sur l’îlot rocheux, les ingénieurs du XVIe siècle avaient ceinturé le chantier de batardeaux faits « d’arbres d’environ quarante pieds de haut fortement palissés, bien joints les uns aux autres et terrassés de glaise ». Les grands travaux ont repris en 1787 sous la direction de l’architecte Joseph Teulère pour réhausser la tour de 10 mètres car les navires se plaignaient de ne pas voir la lumière du phare (37 mètres de haut) de suffisamment loin(1). Teulère souligne, le 27 juillet 1789, le caractère risqué(2) du chantier: « La moindre imprudence peut saccager notre ouvrage et coûter la vie à une vingtaine d’ouvriers. S’il tombait quelque chose de là haut, il est presque impossible qu’il ne tuât quelqu’un. »

Aujourd’hui, Michaël Caperaa pense à Louis de Foix, à Joseph Teulère et aux ouvriers des siècles passés. « L’environnement et la météo sont les données importantes et immuables de ce chantier. J’ai proposé aux compagnons de se mettre en chômage intempérie quand il a neigé mais aucun n’a souhaité. Nous avons l’habitude de travailler dehors mais ici, pour que le phare ouvre au printemps, nous ne pouvons intervenir qu’en hiver, entre les vents, les marées, la pluie, la grêle… Cependant rien n’égale la beauté du site. »

Rendre un visage au mascaron

Cette saison, les travaux concernent la partie nord des 30 premiers mètres de la tour, un quart de la partie la plus ancienne. Le soubassement dit Henri IV est rénové par quart: sud (hiver 2015-2016), est (2016-2017), nord (2017-2018) et ouest (l’hiver prochain). « La partie nord n’était pas très abîmée, détaille Franck Lamendin. Contrairement à ce que l’on pourrait penser la partie ouest n’est pas la plus altérée malgré son exposition aux vents dominants. C’est celle du côté est qui a le plus souffert car les pierres ne sont pas lavées par l’eau de pluie donc les effets cumulés du sel des embruns avec l’effet Venturi du vent a engendré un fort creusement de la pierre. »

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Les mascarons prennent un regard furieux pour symboliser la mer déchaînée ou doux pour rappeler l’océan par temps calme / Photo G. R.

La majorité des travaux cet hiver a consisté en la restauration des murs, pierres défectueuses, joints, pierres taillées (corniches, …) ou sculptées (mascarons). Pour refaire un mascarons dévoré par des siècles de sel et de vent, point de liberté artistique pour les tailleurs de pierre. « Nous essayons de reproduire les motifs existants » explique Michaël Caperaa. Les mascarons sont d’abord prémoulés en argile, analysés avec la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) et  les architectes. Une fois que les experts ont déterminé les traits du visage, le support en terre cuite est fabriqué et  le sculpteur reçoit l’autorisation de faire naître le nouveau mascaron dans une pierre de Sireuil. « Nous n’avons pas eu de mauvaise surprise cet hiver, témoigne l’architecte, plutôt une bonne: nous avons réussi à déboucher le cheminement d’eau de pluie qui permet d’alimenter les réservoirs d’eau douce. Nous avons respecté le planning malgré des conditions météo particulièrement dures cette année. »

Humilité et émotion

Pour l’architecte Franck Lamendin, pourtant rompu au suivi de travaux d’exception, « le phare de Cordouan n’est pas juste des pierres, c’est quelqu’un qui se défend. » Navigateur et enfant de la région lors de vacances chez ses grands-parents, il le connaît depuis des lustres.

« J’avais 9 ans lorsque j’y suis allé pour la première fois. Je n’imaginais pas qu’un jour je m’en occuperais. « 

« J’ai vraiment un rapport affectif avec ce phare car il a une vraie personnalité, je l’approche comme on approche une personne. Je suis toujours ému de faire ce que je fais là-bas. En fin de carrière, pour moi, Cordouan, c’est la cerise sur le gâteau. La particularité d’exercer notre métier en pleine mer dans des conditions difficiles procure une très grande humilité face aux gens qui l’ont construit, aux techniciens qui nous ont précédés. Nous prenons, à notre tour, la dimension de ce que nous léguons. » L’objectif d’une restauration réussie est qu’elle ne se voie pas. « Nous devons donner l’impression que la pierre a toujours été là. A la fin de la restauration du soubassement Henri IV, les quatre quarts(sud, est, nord et ouest) restaurés depuis 2015 devront composer un ensemble homogène. »

En même temps que les parements et les sculptures extérieures, les compagnons rénovent les élévations intérieures, le sol de la cour intérieure, la voûte de l’escalier de la poterne et la salle de la lanterne. L’hiver prochain ils s’attaqueront à la partie ouest du soubassement. Souhaitons-leur qu’il ne neige pas.

Gaëlle Richard
1-« Les 301 marches de Cordouan, ma vie de gardien de phare », Jean-Paul Eymond avec Virginie Lydie, Editions Sud Ouest
2-« Cordouan, sentinelle de l’estuaire », Jacques Péret, Christophe Gauriaud, Geste Editions

 

 

La saison débute en avril

Le phare rouvrira ses portes le samedi 07 avril 2018 (ouverture uniquement les weekends au mois d’avril puis quotidiennement jusqu’à la Toussaint).

Conseils aux visiteurs

La visite est soumise aux marées. Les horaires de départ sont calculés en fonction des marées.  Les conditions de débarquement varient en fonction des marées mais il faut compter une vingtaine de minutes de marche dans le sable, l’eau et parfois les rochers pour accéder au site. Il faut donc être chaussé de manière adéquate. La durée possible sur site peut varier de 2h30 à 4h30 selon les conditions de météo et de marée. La visite de l’enceinte du phare (payante 11 € pour les adultes et 6 € pour les enfants, par groupe de 30 personnes maximum) dure environ 20 minutes. Pour gravir les 301 marches, il faut une bonne condition physique. Renseignements: auprès des différentes compagnies de bateaux.

 

A l'aller et au retour, l'équipe du chantier de restauration doit marcher une vingtaine de minutes dans le sable et l'eau jusqu'à mi-cuisse
L'architecte Franck Lamendin donne quelques conseils au sculpteur de pierre
L'architecte Franck Lamendin et Michel Bristot, de la Direction régionale des affaires culturelles, examinent le plafond de la chapelle
Eric Dupuy, maître verrier installé à Langoiran, pose un vitrail qu'il vient de restaurer
Hiver 2018, les sculpteurs créent des mascarons quasiment à l'identique des anciens pour les remplacer / Photo Gaëlle Richard
Au pied du phare, devant l'entrée, l'espace étroit est utilisé, l'hiver, pour ranger matériel et matériaux