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Les chercheurs bordelais ont embarqué 18 jours à bord du Pourquoi Pas? pour comprendre l'évolution de la mer du Groenland / Photo Sébastien Zaragosi - Epoc

Dossier 19 juin 2018

A la rencontre de la préhistoire de l’océan

[2/3 Tout au fond du 80°N ]

Après le carottage des abysses de la mer du Groenland, l'équipe de chercheurs bordelais va se lancer dans les analyses des sédiments prélevés par 5.000 mètres de profondeur

Dans le gigantesque réfrigérateur de l’Université de Bordeaux, la préhistoire de la Terre dort. Des échantillons de carottages prélevés dans les mers d’Islande et du Groenland attendent d’être passés à la loupe de scientifiques. L’équipe du laboratoire Epoc va bientôt les sortir de leur écrin protecteur. La jeune océanographe, Marjolaine Sabine, paléoclimatologue et sédimentologue, va utiliser les résultats livrés par ces plaques de sédiments pour écrire sa thèse qu’elle devra soutenir en 2020. Avec ses collègues, elle a été les chercher en septembre dernier à bord du navire scientifique Pourquoi Pas?, au cours d’une mission du Service Hydrographique et Océanographique de la Marine (SHOM).

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L’équipe de scientifique monte à bord du Pourquoi Pas? en septembre 2018 / Photo Marjolaine Sabine – Epoc

Elle planche avec passion sur son travail universitaire intitulé « Contribution relative des forçages climatiques et des processus sédimentaires dans la répartition spatio-temporelle des sédiments des mers Nordiques (mer de Norvège, du Groenland et de Barents ». Dit comme ça, ça a l’air assez obscur, voire carrément ténébreux. Mais il suffit d’écouter parler la scientifique pour aimer plonger avec elle dans ses travaux,  comme on se laisserait emporter dans l’histoire des explorations. Elle décortique les éléments chimique des argiles ou du sable issu du sous-sol marin du grand nord. Elle utilise des machines au rayon X, mesure au des grains au nanomètre près…

La chimie, la taille des grains de sable

Une partie des carottes prélevées en septembre dernier entre 290 et 3.400 mètres de profondeur dans le sol sous-marin sub-arctique dans le sol sous-marin arctique est conservée au Shom à Brest. Une autre se laisse déshabiller et scruter à Bordeaux par les scientifiques.

« Les carottes sont découpées avec une sorte de fil à couper le beurre pour en faire des plaquettes sur lesquelles nous travaillons. »

Les sédimentologues et paléoclimatologues vont analyser la couleur des sédiments, la taille des grains, leur composition chimique, etc.

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Dans le ventre du Pourquoi Pas? en pleine navigation, les chercheurs comment les premières analyses des sédiments prélevés / Photo Sébastien Zaragosi – Epoc

« Par exemple, il existe une très grande différence chimique entre le sous-sol de Norvège et celui du Groenland car la chimie de ces deux continents, séparés par une dorsale, est totalement différente. Les changements de couleurs dans le sédiment indiquent les changements
dans les conditions de courants, de température de l’eau, de salinité, et donc de climat au fil des temps. »

A la recherche des variations climatiques

Marjolaine Sabine, avec l’aide de ses directeurs de thèse du SHOM et de l’équipe de recherche du laboratoire EPOC, va analyser les résultats fournis par l’observation et les machines de l’université. Elle a du pain sur la planche pour huit à dix mois.

« Nous allons essayer de comprendre quels ont été les changements environnementaux et les variations climatiques du passé de la limite de l’Arctique. »

Partant du principe que si l’on connaît le passé, on peut mieux appréhender l’avenir, les travaux des chercheurs bordelais permettront d’affiner les prédictions des effets du changement climatique actuel. Les mers nordiques étant « le coeur et le poumon » des océans, Marjolaine Sabine espère remonter le temps jusqu’à 500.000 ans.

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Marjolaine Sabine montre la différence de couleur de sédiments selon les époques / Photo G. R.

« J’espère trouver des sédiments des trois, quatre ou cinq derniers cycles climatiques pour voir comment les océans ont réagi face aux changements climatiques. Pour le moment, je pense que l’on peut remonter à 500.000 ans, minimum. »

Il y a toujours des surprises

Pour cette recherche, la jeune scientifique bordelaise travaille « dans la découverte ». « On sait ce que l’on espère trouver mais on n’est sûr de rien, sourit-elle, gourmande de trouvailles. On a toujours des surprises! On sait que l’on en aura car la datation le plus souvent utilisée, au carbone 14, ne permet pas de dater au-delà de 40.000 ans. Or, dans les mers nordiques, la vitesse de sédimentation (la
quantité de sédiment qui se dépose sur le fond en fonction du temps) est tellement lente que cette technique ne fonctionne pas. »

Il faudra patienter jusqu’en 2020 pour lever le voile sur la préhistoire de la Terre et des courants océanographiques.

Gaëlle Richard

[A suivre… 3/3 Marjolaine Sabine, la petite fille qui préférait les livres aux océans]