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Les travaux de renforcement du talus sous-fluvial dureront jusqu'en avril / Photos G.R.

Ports 25 mars 2018

Consolider le Pont de Pierre, un travail pharaonique

Bordeaux

Jusqu’en avril prochain, au pied du Pont de Pierre, des tonnes de cailloux sont déposés pour protéger les piles de l’érosion due au courant

Le Pont de Pierre, à Bordeaux, se fait vieux. Pour renforcer ses fondements, un an et demi de travaux, des tonnes de pierre et un ballet de barges sont nécessaires à ce chantier de travaux publics fluvio-maritimes. Un marché de 12 millions d’euros, environ 22 000 tonnes de pierres immergées, 35 personnes de trois entreprises travaillant dans les eaux réputées parmi les plus difficiles. Le but consiste à déposer sur le talus sous-fluvial de la diorite (une roche dure), dans des filets ou sur des gabions, pour solidifier le sol. Des plongeurs descendent ensuite vérifier si le matériau est correctement positionné. Les contraintes nautiques sont fortes dans le Port de la Lune. « Les capitaines des barges doivent passer, chargés de 120 tonnes, sous les piles du pont, explique Sébastien Guillemoteau, ingénieur travaux au sein de Balineau et directeur du chantier. Les plongeurs travaillent à tâtons dans l’obscurité complète à cause de la turbidité de l’eau. » Ces opérations ne peuvent s’effectuer qu’à l’étale de pleine mer qui dure trois-quarts d’heure. Les professionnels des travaux publics fluvio-maritimes ne disposent donc que d’une heure et demi par 24h.

POURQUOI RENFORCER LA TALUS SOUS FLUVIAL ?

Le Pont de Pierre, édifié en 1822, repose sur 16 piles et des pieux en pin fichés dans les alluvions, la partie molle du sol. Pas vraiment taillé pour supporter le passage de milliers de voitures et de deux lignes de tramways. Le maire de Bordeaux, Alain Juppé, a décidé sa fermeture à la circulation automobile en septembre. Les courants de marée fragilisent son implantation en ravinant le fond dans lequel ses piles sont implantées. Les relevés bathymétriques démontrent nettement que de chaque côté du pont commandé par Napoléon, des zones de creux, plus ou moins profonds, se sont créées au fil du temps et des marées. Depuis le 20 février 2016 et jusqu’en avril 2018, les trois entreprises vont donc renflouer le sol sous-marin. Le maître d’ouvrage est Bordeaux Métropole et le maître d’oeuvre Antéa. Balineau, Vinci (VCMF), Eiffage (ETMF) ont créé un groupement pour ce marché. Pour combler les « trous » plus profonds que la moyenne du sol, des filets de pierres y sont déposés. Sur le reste du sol, les gabions prendront place d’une rive à l’autre.

LES TROIS PHASES DE CE CHANTIER COLOSSAL

  • Première étape, réalisée tout au long de la journée : remplir de blocs de diorite le grillage des gabions.

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    Les gabions (ici vides) sont, comme les filets, remplis de pavés de pierre

Les gabions (ici vides) sont, comme les filets, remplis de pavés de pierre
En plein soleil, dans la brume ou le froid, l’équipe de confection travaille avec courage en bord de quai au dépôt de Balineau, juste au pied du pont levant Jacques-Chaban-Delmas. A l’étale de marée haute, le gabion ainsi lesté est acheminé par barge jusqu’à l’endroit où il doit être déposé.
En réalité les deux dernières phases du chantier se déroulent en même temps chacune sur un atelier différent :

• celui de la pose de filets remplis de blocs de pierre (de 2,5 tonnes à 4 tonnes selon les tailles)

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Les filets remplis de pierre sont déposés au fond pour combler les « trous »

Les filets remplis de pierre sont déposés au fond pour

• combler les « trous »et celui de la pose des gabions. Ces rectangles de 12mx12m pèsent plus de 120 tonnes par pièce. Pour les immerger à une dizaine de mètres des piles du pont de Pierre et à une vingtaine de mètres de profondeur, deux pontons sont ancrés dans la Garonne, dont le « Mauricette 2 », du prénom de l’une des secrétaires de l’entreprise.

Ces opérations s’effectuent à partir de pontons carrés flottants amarrés en Garonne. Chacun recrée un microcosme. Le « Mauricette 2 » en forme de « U » et surmonté d’un portique pour poser les gabions, ou celui spécifique à l’immersion des filets des professions différentes et complémentaires. Ces hommes et ces femmes travaillent à bord toute la journée. Avec préfabriqué, machine à café et quelques madeleines pour les pauses, l’ambiance est celle d’un chantier. « Avec la solidarité des gens de mer en plus » témoigne Josse Pruvost, de l’entreprise ETMF, et animateur dans une école de voile à ses heures de loisirs. Chaque ponton est doté d’un GPS et d’une caméra 3D dont les données permettent d’affiner le positionnement des filets ou des gabions. Une fois les filets et les gabions stabilisés sur le fond, un plongeur spécialisé, saute à l’eau et, à tâtons en liaison radio avec un opérateur à bord du ponton, s’assure du bon positionnement du matériau.

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La pose des gabions est délicate

DES CONDITIONS EXTREMEMENT DELICATES

Dans l’univers des travaux publics fluvio-maritimes, la Garonne est réputée comme un environnement extrême. Le courant et la turbidité en sont les causes principales. En Garonne, les courants sont forts surtout aux abords des piles du Pont de Pierre où se créent des tourbillons. « Nous travaillons surtout à l’étale de pleine mer car elle dure un peu plus longtemps que celle de basse-mer » témoigne Sébastien Guillemoteau. Jean-Philippe Mauros, capitaine de la barge pousseuse des gabions, fait preuve d’une intense concentration au passage du pont. Après avoir déposé le gabion qui sera immergé le lendemain, il doit repartir. Il est 18 heures à la mi-novembre, la nuit tombe, le courant de marée descendante commence à monter en intensité. Son visage se ferme. Il doit passer sous le pont à reculons, pour rester l’avant de la barge face au courant et bénéficier, si besoin, de la puissance des moteurs.

« S’il était dos au courant, la barge risquerait d’être emportée par le courant » glisse Josse Pruvost.

L’embarcation passe doucement sous le pont et tout paraît facile. Alors que Jean-Philippe Mauros ne desserre pas les dents, les Bordelais qui marchent ou pédalent juste au-dessus admirent le fabuleux coucher de soleil sans même se douter de la tension qui règne sous leurs pieds.

A la mi-novembre, la moitié des gabions avaient été posés. Les filets ont été totalement posés fin décembre.

Gaëlle Richard

 

PETIT DICO DE TRAVAUX FLUVIO-MARITIME

talus sous-fluvial : le bourrelet d’alluvions sur lequel les piles du pont sont implantées

gabion : un casier grillagé rempli de pierres

diorite : roche magmatique très dense pour apporter le plus de poids possible dans le gabion

sur-fosses : creux créés par les courants au pied du talus sous-fluvial, dans une zone déjà plus creuse que le reste du fleuve, et qui fragilisent l’implantation des piles du pont

LE CHANTIER EN CHIFFRES

1500 filets de 2,5 tonnes à 4 tonnes seront posés au fond de la Garonne dans les « sur-fosses »

150 gabions de 120 tonnes chacun seront posés au fond de la Garonne par dessus les filets.

Les pontons sont un véritable chantier avec son organisation, ses règles et ses codes
Les plongeurs subissent non seulement la turbidité de l’eau due aux alluvions en suspension mais également les courants. Ils ne peuvent pas demeurer stationnaires dans un flux trop important
Passer sous le pont de Pierre est une opération à chaque fois délicate
Le capitaine de la barge pousseuse, Jean-Philippe Maurost, fait preuve d'une concentration maximale au moment de passer entre les piles du pont