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Une partie de l’eau des océans primitifs provient du dégazage de la jeune Terre en fusion

Environnement 15 mai 2018

L’océan: aux origines de la Terre primitive

[LA CARTE BLANCHE de...]

Philippe Bertrand, paléoocéanographe, chercheur au CNRS

Les premiers océans se sont vraisemblablement formés peu après que la Terre se soit agrégée au sein du jeune système solaire. Il fallut pour cela que la surface de la Terre, légèrement refroidie, forme une croûte au-dessus du magma de roches fondues, et que l’atmosphère primitive, très chargée en vapeur d’eau, également refroidie, permette à l’eau de se condenser et, via des pluies intenses, de s’accumuler en mares, lacs, mers et océans.

Des études isotopiques de minéraux (zircons) datant de 4,4 milliards d’années semblent indiquer que des mers étaient déjà présentes à cette époque, c’est-à-dire 160 millions d’années après que la Terre ait acquis l’essentiel de sa masse (l’âge de la Terre est 4,56 milliards d’années). Ces océans primitifs étaient toutefois très chauds (peut-être plus de 200°C) car ils s’équilibraient avec une atmosphère très dense (de 60 à 160 fois la pression atmosphérique actuelle) et à l’effet de serre considérable car les composants majeurs étaient le gaz carbonique et la vapeur d’eau.

Grâce à l’eau des comètes

Une partie de l’eau des océans primitifs provient du dégazage de la jeune Terre en fusion, qui grossissait à partir des matériaux apportés par des comètes, des météorites, et même des petites planètes elles-mêmes en formation (provoquant alors des méga-impacts). Cependant, l’ensemble de ces corps gravitaient dans des zones internes du système solaire, assez pauvres en eau. Il est donc très probable qu’une large part de l’eau de la Terre actuelle (dont 97% est dans les océans) s’est accumulée plus tardivement à partir de comètes et de météorites provenant des parties externes du système solaire qui étaient (et sont toujours) beaucoup plus riches en eau. Ce processus s’est certainement poursuivi jusqu’à la dernière période de bombardement intense il y a environ 4milliards d’années (bombardement tardif).

Par la chimie de l’eau de mer

La formation des premiers océans sur la Terre a eu un effet considérable sur le destin de la planète car, grâce à la chimie de l’eau de mer, ils ont été les médiateurs du transfert du carbone de sa forme atmosphérique (CO2, gaz majoritaire de l’atmosphère primitive) vers des formes solides par précipitation de carbonates de calcium, de magnésium, et de fer, notamment. De ce fait, la pression atmosphérique initiale (> 60 bars de CO2) et l’énorme effet de serre associé ont été considérablement réduits.

Le processus s’est poursuivi au fur et à mesure que la masse des océans s’accroissait au point que le CO2 est même devenu un gaz minoritaire dans l’atmosphère. La scène terrestre était alors prête pour accueillir l’émergence de la vie dans les océans.

Aujourd’hui, l’essentiel du carbone est toujours solide, sous nos pieds, dans les montagnes et dans les sédiments des océans. Le CO2 n’est qu’un composant en trace de l’atmosphère (0,028 % au seuil de l’ère industrielle), même si l’effet de serre qu’il maintient est tout à fait nécessaire à la vie. Ceci est toutefois le résultat d’un équilibre géologique permanent entre l’émission de CO2 par les volcans, et le piégeage du CO2 via la construction des coquilles et des squelettes dans l’océan (la voie biologique ayant pris la place de la voie abiotique initiale).

Philippe Bertrand est spécialiste du rôle de l’océan dans l’évolution et la régulation de la planète Terre

Il est biogéochimiste-paléoclimatologue-paléocéanographe, chercheur et directeur adjoint scientifique à au CNRS/INSU, en charge du domaine Océan Atmosphère, travaille à l’Université de Bordeaux, au sein du laboratoire Epoc.