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Économie 21 avril 2020

La Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (VOC)

Retour en histoire sur la fameuse Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales (VOC).

Aujourd’hui, Mer & Océan vous propose d’embarquer pour un retour sur l’histoire de la Compagnie Néerlandaise des Indes Orientales.

Concurrencer les puissances Ibériques

La « découverte » de l’Amérique, et plus largement l’expansion maritime des Ibériques dès la fin du XVe siècle, ouvrent la voie à des échanges commerciaux à l’échelle mondiale. Les Portugais établissent des comptoirs le long des côtes africaines, tandis que les Espagnols mettent en place des convois réguliers vers l’Amérique et les Philippines.

Se sentant lésées dans ce partage du monde ratifié par le Pape à l’occasion des Traités de Tordesillas et de Saragosse, les autres puissances européennes le contestent, notamment la France, l’Angleterre et la Hollande, que l’on nomme alors Provinces Unies. Le roi de France François Ier s’adresse ainsi à son rival Charles Quint, qui règne entre autres sur l’Espagne et sur son empire colonial :

« Le soleil luit pour moi comme pour les autres ; je voudrais bien voir la clause du testament d’Adam qui m’exclut du partage du monde ».


C’est ainsi notamment que François Ier lance l’explorateur Jacques Cartier vers le Canada. Mais l’impulsion est surtout être donnée à la création de grandes compagnies de commerce, qui vont soutenir les ambitions coloniales des rivaux des Ibériques : l’Angleterre fonde l’East India Company, les Compagnies des Indes françaises en sont un pâle équivalent, tandis que les Hollandais créent la puissante Vereenigde Oostindische Compagnie (VOC), destinée à devenir un véritable empire commercial.

Créée en 1602, la VOC est d’abord une réponse aux diverses offenses ibériques faites aux navires hollandais, qui se voient tantôt interdire l’accès aux ports lusitaniens distribuant des produits orientaux, tantôt attaqués en situation d’isolement, alors que plane également la menace pirate. Par ailleurs, les petites sociétés d’armement précédant la création de la VOC, dépourvues d’une organisation commune, ne sont pas réellement en mesure de répondre correctement à la demande des acheteurs européens ; elles risquent en effet de ramener en masse des produits au détriment d’autres, entraînant de ce fait une chute des cours, et du même coup une baisse de la rentabilité de leurs expéditions.

Après 1602, c’est donc une compagnie de marchands détenant le monopole du commerce avec l’Asie, qui organise les convois répondant à la demande européenne. Un personnel permanent est installé dans les ports asiatiques et des dizaines de navires sont réunis au sein d’une flotte dédiée, qui part à la conquête du monde.

Amsterdam au coeur de l’organisation de la VOC

Le principe des petites sociétés d’armement, préalable à la VOC, est conservé à travers une administration par « six chambres » distinctes, installées dans les principaux ports néerlandais : Amsterdam, Zélande, Delft, Rotterdam, Hoorn et Enkhuizen. Dotées du droit particulier d’armer des navires pour l’Asie, ces chambres sont néanmoins placées sous la direction général d’un conseil, les Heeren XVII, formé de représentants élus de chaque chambre.

Implantée à Amsterdam, la VOC y installe sa comptabilité ainsi que d’importants chantiers navals, qui forment bientôt ce que l’on considèrera comme la première zone industrielle du monde. Les bateaux sont réalisés à partir de plans standards, qui permettent de diviser le travail et d’en réduire les coûts.

Ce tableau d’Abraham Storck montre l’effervescence que connaît le port d’Amsterdam au XVIIe siècle :

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Navires dans le port d’Amsterdam, Abraham Storck (1644-1708), collection Musée Mer Marine


Considéré comme l’un des meilleurs peintres de marine néerlandais de la deuxième moitié du XVIIe siècle avec les Van de Velde, Abraham Storck, originaire d’Amsterdam, se plaît à représenter sa ville natale. Il réalise notamment différents tableaux représentant le port d’Amsterdam, suite à la visite du Tsar de Russie Pierre le Grand en 1697. Le souverain russe noue en effet des alliances avec différents États d’Europe et observe leurs us et coutumes au cours d’un voyage de près de deux ans, à la fin du XVIIe siècle. Dissimulant son identité, il aurait travaillé comme simple ouvrier dans les chantiers navals de la VOC, puis étudié la construction navale à Amsterdam, dans le but de développer la marine de guerre russe.


Les grands voiliers représentés sur la toile portent le pavillon de la Vereenigde Oostindische Compagnie, plus précisément celui de la chambre d’Amsterdam puisqu’un « A » surmonte le sigle « VOC ». En bas à droite, une chaloupe arbore les couleurs du Tsar de Russie.

Le Batavia, ou le destin funeste d’un navire affrété par la VOC

Les lourds navires de la VOC sont résistants et capables de ramener vers l’Europe un grand nombre de marchandises, parmi lesquelles principalement des épices et des porcelaines.

Cette maquette de 2,50 mètres de long est une reproduction de l’un des navires les plus emblématiques de la VOC, le Batavia :

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Le Batavia, maquette à l’échelle 1/25, collection Musée Mer Marine


Construit en 1628, le Batavia est un trois-mât armé de 30 canons, affrété par la VOC. Il porte le même nom que le comptoir de Batavia (actuelle Jakarta en Indonésie), qui est l’une des places forte de la compagnie. En plus des coffres de pièces d’or et d’argent destinés au commerce des épices, il peut embarquer plus de 300 personnes : marins, soldats, responsables commerciaux, mais aussi passagers souhaitant s’installer dans les colonies.

Il est célèbre pour avoir fait naufrage lors de son voyage inaugural, entraînant une série de conflits parmi les survivants, qui ne laisseront en vie qu’un tiers des passagers et hommes d’équipage.

En effet, les relations entre le capitaine Jacobsz et le subrécargue Pelsaert, responsable commercial qui représente les intérêts de la VOC, se détériorent progressivement au cours du voyage, au point que certains marins alliés au capitaine et à l’intendant adjoint du subrécargue, Cornelisz, envisagent sans succès une mutinerie afin de se rendre maîtres de la riche cargaison. Cependant, dans la nuit du 3 au 4 juin 1629, le navire s’échoue sur des récifs à marée haute, rendant impossible toute tentative de dégagement. Des éclaireurs partis à bord d’une chaloupe découvrent des îlots non submersibles sur lesquels sont progressivement débarqués les passagers. Certains se noient en tentant de rejoindre les bandes de terre à la nage, d’autres ne résistent pas à la soif qui sévit durant cinq jours, avant que des pluies ne permettent de reconstituer des réserves d’eau.

À bord d’une chaloupe transportant 48 personnes, Pelsaert et Jacobsz décident de rejoindre l’Australie, distante d’environ 80 kilomètres, dans l’espoir d’atteindre un port et de monter une expédition pour secourir les autres survivants.

Se nourrissant d’oiseaux de mer et d’otaries, les 208 naufragés restés sur place aménagent des campements de fortune et utilisent le bois de l’épave pour construire des embarcations qui leur permettent de visiter l’archipel.
L’adjoint Cornelisz jouit d’une certaine aura auprès des naufragés ; il est placé à la tête du conseil instauré pour diriger le groupe, selon le règlement de la VOC. Inquiet de ce que son rôle dans la mutinerie soit découvert, et conscient de la rareté des ressources élémentaires, il manoeuvre discrètement afin d’écarter du conseil les personnes demeurées fidèles à la VOC, et organise une diminution de la population de son îlot en abandonnant plusieurs dizaines de personnes sur d’autres terres qu’il sait secrètement dépourvues d’eau potable. Ces laissés pour compte tentent de se regrouper, incitant Cornelisz à les faire abattre par ses hommes et à dévoiler ses intentions, qui jusqu’ici ne s’étaient traduites que par des exécutions cachées.

S’en suit une série de conflits meurtriers, où les partisans de Cornelisz profitent de s’être préalablement appropriés les armes blanches sauvées du naufrage pour massacrer les autres groupes et forcer les femmes à se prostituer. Seule une cinquantaine de personnes parviennent à se tenir à l’écart du massacre ; elles se rassemblent au nord-ouest de l’archipel sous le commandement d’un certain Hayes. Lors d’une négociation avec le camp adverse, ce dernier parvient à capturer Cornelisz.

Cependant, Pelsaert et Jacobsz sont parvenus à rejoindre les côtes australiennes, et à pousser leur exploit jusqu’à l’île de Java, où les 48 passagers peuvent débarquer sains et saufs. Renvoyé pour secourir les rescapés du Batavia, Pelsaert ne réussit à retrouver le lieu du naufrage qu’à la mi-septembre, tandis qu’un nouveau chef tente de reprendre le camp de Cornelisz. Avec l’aide de Hayes, Pelsaert parvient à maîtriser les mutins et à procéder à leur interrogatoire.

Suite à la reconstitution du fil des événements, Cornelisz est pendu sur place le 1er octobre avec plusieurs de ses compagnons, après avoir eu les mains coupées. Plusieurs coffres de la compagnie sont récupérés et Pelsaert arrive à Batavia le 5 décembre avec les survivants du naufrage, dont certains mutins épargnés, qui sont finalement exécutés.

Selon les archives de la VOC, la perversité de Cornelisz aura causé la mort de près de 115 personnes.

Une relation unique avec le Japon

L’une des particularités de la VOC est qu’elle assure un commerce d’Inde en Inde, notamment grâce aux relations privilégiées qu’elle entretient avec le Japon. En effet, les Hollandais sont les seuls à pouvoir pénétrer le marché japonais, dans la baie de Nagasaki, tandis que les autres puissances européennes se voient refuser l’accès aux côtes nippones.

Cette entente unique apparaît dans cet ouvrage intitulé Ambassades mémorables de la Compagnie des Indes Orientales des Provinces Unies vers les Empereurs du Japon :

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Ambassades mémorables de la Compagnie des Indes Orientales des Provinces Unies vers les Empereurs du Japon, Amsterdam, 1680, collection Musée Mer Marine
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Ambassades mémorables de la Compagnie des Indes Orientales des Provinces Unies vers les Empereurs du Japon, Amsterdam, 1680, collection Musée Mer Marine


À grands renforts de fines illustrations, ce livre décrit les paysages, les bâtiments, l’histoire, les moeurs et les coutumes des Japonais, tels que les ambassadeurs hollandais les ont perçus au cours de leurs voyages et de leurs échanges privilégiés avec les souverains japonais.

Ce canon en bronze est un autre témoin de cette alliance exceptionnelle :

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Canon de la VOC, bronze, XVIIIe siècle, collection Musée Mer Marine


Marqué du sigle de la VOC, ce canon présente par ailleurs un style japonisant, avec son extrémité en forme de tête de dragon.
Véritable État dans l’État, la VOC est investie de fonctions régaliennes dans les comptoirs établis par les Provinces-Unies (police, défense, justice) et dispose d’une véritable flotte de guerre, qui lui permet de combattre les puissances européennes adverses, ainsi que les princes autochtones.

La première société anonyme de l’histoire

Les Heeren XVII, conseil de direction générale de la VOC, supervisent les activités de la compagnie en maîtrisant les ventes, en entretenant une correspondance étroite avec les commerçants implantés en Asie, et en déterminant également le montant du dividende qui s’applique à tous les actionnaires.

Disposant dès le départ d’un capital de 6,3 millions de florins partagé en 2000 actions, la VOC surpasse largement sa concurrente anglaise et se distingue en devenant ainsi la première grande société anonyme de l’histoire. N’importe quel habitant des Provinces Unies peut souscrire, et même accéder à des fonctions de direction s’il se porte acquéreur de 10 actions. La compagnie parvient à maintenir ce capital durant des décennies et verse des dividendes très élevés à ses nombreux souscripteurs, parfois 35% à 40%, témoignant de sa grande efficacité.

Ayant pris le contrôle de nombreux territoires, la VOC dispose de comptoirs sur tous les continents du monde. Employant près de 150 000 personnes en 1788, elle fait par ailleurs voyager, entre 1602 et 1799, date de sa dissolution, plus d’un million d’Européens. On peut donc la considérer comme un facteur de premier plan dans le phénomène de mondialisation qui, par étapes historiques successives, a conduit le monde à la libre circulation des personnes, des marchandises, des capitaux, des services, des techniques et de l’information que nous connaissons aujourd’hui.

Sarah Berry