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Emmanuelle Périé-Bardout entouré de son mari Ghislain et de leurs deux garçons, Robin et Tom / Photo LUCAS SANTUCCI - ZEPPELIN NETWORK

Découverte & Recherche 23 mai 2018

« J’emmène Robin et Tom voir les icebergs »

[INTERVIEW]

Emmanuelle Périé-Bardout, co-directrice de Under The Pole mène, avec son mari, l'exploration scientifique en Arctique et la vie avec leurs deux enfants de 2 et 6 ans. Pas facile tous les jours

Emmanuelle Périé-Bardout, 38 ans, skipper, plongeuse, spécialiste des régions polaires, dirige, avec son mari, Ghislain Bardout, l’expédition scientifique Under The Pole (UTP) depuis 2010 à bord du voilier Why. Elle est aussi maman de deux petits garçons: Robin, 6 ans, et Tom, 2 ans. Entre vie à bord et en équipage, au milieu des glaces et des plongées scientifiques, elle élève ses enfants. Concilier vie professionnelle et vie familiale n’est jamais simple. Sur un voilier d’expédition scientifique entre les icebergs non plus!

Lorsque vous vous êtes lancés dans cette aventure avec les enfants, avez-vous ressenti une appréhesion, des questionnements?

Quand nous avons décidé de fonder une famille, on ne s’est jamais posé la question de continuer ou pas : nos enfants embarqueraient dans l’aventure et nous partagerions avec eux notre amour de ces espaces sauvages. Ils intégreraient la vie du bord où cohabitent douze personnes: marins, plongeurs, caméraman, photographe, cuisinier, scientifiques… et notre husky Kayak !
C’est ainsi que Robin passa 18 mois au Groenland entre ses deux ans et ses trois ans et demi dont un hivernage où notre voilier WHY était pris dans les glaces, à 3 km du petit village d’Ikerasak (200 habitants).
Notre deuxième enfant, Tom, est arrivé en mai 2016, un an avant le nouveau départ du WHY pour un tour du monde de trois ans, de l’arctique à l’antarctique en passant par le Pacifique où nous mènerons plusieurs programmes scientifiques en Polynésie française.

Mais avant de goûter à la chaleur, le premier leg nous ramenait en Arctique pour un défi de taille : traverser et plonger dans le passage du Nord-Ouest, en quête d’organismes sous-marins bio fluorescents. Pour rejoindre l’océan Pacifique, trois options s’offrent aux navigateurs : le canal de Panama (le plus souvent emprunté -entre l’Amérique du Sud et du Nord), le passage du Cap Horn au Sud et le passage du Nord-Ouest au Nord.

Pour être honnête, malgré l’expérience de ces régions et de la navigation, j’avais un peu sous-estimé le défi : franchir le passage du Nord Ouest, avec une équipe nombreuse, assurer un programme scientifique nécessitant des plongées régulières, le travail documentaire et photographique, a été un challenge de chaque instant.

« Plusieurs fois, en regardant le nombre de milles à parcourir, je me suis demandée si nous pourrions rester jusqu’au bout avec les enfants. »

Rapidement Tom et Robin m’ont rassurée sur leur faculté d’adaptation. Ils sont certainement ceux qui ont le moins souffert de l’état de la mer et Tom nous a impressionnés par sa capacité à se déplacer – ou devrais je dire à grimper – par tous les temps sur le bateau. Il a fait ses premiers pas tard car nous ne nous arrêtions jamais suffisamment longtemps pour qu’il puisse avoir de l’espace et de la stabilité pour marcher, mais à l’intérieur du WHY, il était un petit singe qui nous a donné quelques frayeurs !

Quels sont vos meilleurs souvenirs en famille?

La liste est longue. Lorsque j’emmène Robin et Tom voir les plus grands icebergs de l’hémisphère Nord, à Ilulissat au Groenland. La rencontre magique avec les ours polaires, dans le Peel Sound, en plein milieu du passage alors que le WHY était coincé dans les glaces. Les randonnées dans des paysages sublimes, avec Tom dans le dos qui pointait tout du doigt avant de s’endormir épuisé et Robin qui marchait vaillamment.

Se faire réveiller par Tom au milieu de la nuit et l’emmener sur le pont regarder sa première aurore boréale avant de le rendormir. L’arrivée à Kodiak, la plus grande île d’Alaska et qui donne son nom aux ours Kodiak, les plus grands ours bruns du monde ! Arriver au petit matin, entourés de baleines et admirer les forêts de sapins et les montagnes, regarder la végétation envahir le moindre bout de terre, prendre le plus beau bain de notre vie dans une source chaude en regardant le WHY au mouillage et les baleines souffler. Naviguer en compagnie des loutres de mer, tellement curieuses, regarder les lions de mer chasser, observer les ours bruns se nourrir de coquillages sur la plage avec un renard tout en étant survolés par des aigles.

Voir Robin grandir et prendre confiance en lui, monter dans le mât, s’asseoir à côté de moi pour faire une aquarelle et retourner dessiner un TGV duplex.

Observer Tom changer tellement et faire rire tout le monde. Il est un rayon de soleil et le plus gros appétit du bord !

Comment faites-vous concrètement pour le quotidien? Y a-t-il des temps différenciés pour le travail et d’autres pour les enfants?

Comme souvent il y a la théorie et la pratique. Depuis le mois de novembre, je suis épaulée par une nounou professionnelle. J’avais de plus en plus de mal à assurer le travail et m’occuper des enfants, ce qui reste toujours ma priorité.

« J’ai accumulé beaucoup de fatigue surtout après la naissance de Tom qui s’est cumulée avec la préparation d’UTP III. »

Sur le bateau, c’est toujours difficile de trouver du temps en présence des enfants car comme tout les petits, dès qu’ils me voient, ils veulent mon attention… et c’est normal! J’essaie de m’isoler quand j’ai besoin de travailler ou de sortir du bateau quand il y a des escales. Camille, la nounou de Robin et Tom, fait un travail formidable et, qualité indispensable, est elle-même très adaptable.

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L’équipage d’Under The Pole sur la banquise / Photo Zeppelin

Adaptez-vous votre rythme à celui des enfants?

Oui. Et parfois j’adapte leur rythme à celui du bord et des plongées en particulier. Depuis quelques mois, je fais l’école à Robin à raison d’une heure par jour, consacrée principalement aux mathématiques et au français. Le reste est fonction des découvertes et des endroits où on se trouve, toute découverte est l’occasion d’une « leçon de chose ». Il n’est qu’en Grande Section! J’ai toujours eu beaucoup d’admiration pour le métier d’enseignant et j’en aurai surement fait mon métier si j’avais eu une vie différente. Je m’appuie beaucoup sur des méthodes d’apprentissages alternatives et m’adapte toujours à Robin, ce que je trouve formidable.

Nous gardons à bord un temps pour adultes, au moment du dîner quand les enfants sont couchés. C’est un moment important pour tous car l’équipage à bord est un peu de la famille, mes enfants ont beaucoup de tontons et tatas et ils les sollicitent régulièrement. Je pense que Robin et Tom participent à la bonne ambiance du bord en renforçant cet aspect familial de l’aventure!

Propos recueillis par Gaëlle Richard