• Save

Insolite 28 juin 2022

Interview – L’expédition incroyable de Corentin de Chatelperron autour du monde à bord du Nomade des Mers

Il y a quelques jours, Corentin de Chatelperron est rentré d’un périple de 6 ans à bord de son bateau laboratoire : « le Nomade des Mers ». Au cours de plusieurs escales autour du globe, Corentin est parti à la découverte du monde des low-tech. Rencontre avec cet aventurier hors du commun :

Corentin de Chatelperron, un aventurier pas comme les autres

1- Pouvez-vous définir ce qu’est la Low-tech en quelques mots ?

En trois mots : utile, accessible et durable. 

Utile : qui répond au besoin de base comme l’accès à l’eau, à la nourriture, à l’énergie et au recyclage des déchets et des matériaux. 

Accessible à tous : qui peut être fabriqué, réparable, appropriable et adaptable localement.`

Durable : écologique et respectueux de l’humain et de la planète. 

  • Save

2- Comment êtes-vous venu à l’idée de faire un tour du monde à la découverte des low-tech ? 

J’ai bossé plusieurs années au Bangladesh, sur un bateau fait en fil de jute : le Tara Tari.

J’ai fait pas mal de recherches sur ce matériau pour construire ce bateau en fil de jute. Au Bangladesh, je me suis rendu compte qu’ils inventaient pleins de technologies qui pouvaient être utiles à beaucoup de monde. Ce que j’ai appelé plus tard des low-tech. Mais en général, il n’y avait pas de vecteur de diffusion de cette technologie. Elles restaient souvent à l’échelle locale alors qu’elles étaient très ingénieuses.

Rien ne permettait de les diffuser. Mais dès que les personnes ont commencé à avoir Internet, ça a commencé à se répandre dans le monde entier. J’ai véritablement commencé à travailler là-dessus en 2013.

Quand on a mis à l’eau notre deuxième bateau “Gold of Bengal”, j’ai décidé de partir le tester six mois accompagné de certaines low-tech. Et c’est là que j’ai ébauché l’idée de faire une plateforme Wiki pour diffuser tous ces savoir-faire qu’on pourrait trouver partout autour du monde. Mon but principal était de tester ces technologies, les documenter et les diffuser en open source. 

3- Pouvez-vous nous résumer une journée type sur le Nomade des Mers ?

Le matin on a une petite routine : on s’occupe de notre écosystème, plus particulièrement de notre élevage de mouche. Leurs larves dégradent les déchets organiques. ¨Par exemple, pour nos déchets organiques, on les passe à travers une moulinette comme pour en faire de la viande hachée. Elle se transforme ensuite en purée qu’on donne aux larves. Puis, ces larves, il faut les mettre dans la volière pour qu’elles se transforment en mouche, qu’elles pondent des œufs pour que ça deviennent à nouveau des larves. Et ainsi de suite jusqu’à que l’on est assez de larves à donner à manger pour notre élevage de grillons.

On a pas mal de petits arbustes à l’extérieur et dans le cockpit. On a aussi quelques plantes qui poussent en bioponie. Ce sont des circuits fermés, c’est-à-dire que l’eau circule à travers les racines des plantes qui poussent dans des billes d’argile. Elles retombent dans des bacs puis c’est pompé régulièrement dans la journée. Notre rôle le matin c’est de s’assurer qu’elles coulent bien et qu’on puisse en récolter un peu.

Ensuite, Caroline s’occupe des champignons pour en faire des matériaux utiles, comme pour le surf dans le film “Wave of Change”. Elle cultive ces champignons pour qu’ils soient aussi comestibles.

On cuisine beaucoup au four solaire. Ça change de la cuisine traditionnelle à la maison puisqu’il faut couper les légumes le matin, les mettre dans le four solaire, puis les faire cuire toute la matinée jusqu’à 12h.

Le matin, on mange souvent des idlis, un plat typique du sud de l’Inde. C’est hyper nutritif mais ça demande de moudre du riz avec des lentilles, les faire faire monter et le lendemain, on peut faire cuire le tout à la vapeur.

  • Save

On entretient beaucoup le bateau et surtout on a pas mal de bricolage. On est en permanence en train d’optimiser des low-tech et de les rendre plus ergonomiques pour notre usage. On fait pas mal de vidéos tutoriels et des films pour Arte par exemple. Et pendant nos escales dans certains pays, on va voir des personnes qui développent des technologies low-tech à terre.

Nos tutos sont disponibles sur notre chaîne Youtube, ou sinon sur la plateforme wiki : Lowtechlab.org. Vous pouvez trouver environ 150 tutos sur plus d’une cinquantaine de technologies que nous avons étudié. De nombreuses associations contribuent au développement de ce projet, notamment le Low-Tech Lab. 

Une centaine de Low-Tech Lab ont été créés et qui ont pour vocation, dans les années qui viennent, de continuer à remplir les tutos. 

L’expérience Biosphère

4- Votre projet d’île flottante en Thaïlande, c’est quoi concrètement ? 

On est parti en bateau en 2016. On s’est arrêté dans pas mal de pays puis on a fait escale en Thaïlande au bout d’un an et demi. Au fil de notre voyage, on a vu beaucoup de technologies issues de pays et de domaines différents : l’eau, l’énergie, etc. Et ça m’a donné envie de faire un test sur un radeau de 70m2 en bambou qui flottait dans une baie d’une île déserte en Thaïlande. J’ai installé une trentaine des technologies qu’on avait étudié pour voir à quel point elles pouvaient nous rendre autonome. Que ce soit en énergie, en eau, en nourriture, ou pour pouvoir recycler les déchets et les combiner ensemble. Ces technologies ont été inventées à tellement d’endroits différents mais elles n’ont jamais étaient pensées pour être combinées. Je trouvais ça intéressant de réfléchir à un mode de vie où tu vis avec toutes ces technologies. Donc en 2018, j’ai fait une expérience de quatre mois que j’ai appelée “Biosphère” en référence aux scientifiques qui font des recherches sur la colonisation d’autres planètes. 

5- Pensez-vous qu’il sera possible à l’avenir d’utiliser des low-tech dans notre quotidien ? 

Oui, carrément. C’est vraiment le résultat du tour du monde, ça peut complètement changer notre mode de vie. On a commencé petit à petit et depuis ces dernières années, on a réussi à imaginer comment pourrait être le futur si on les intégrait. 

  • Save

Aujourd’hui, il y a encore beaucoup de low-tech à l’état de prototype qui ne sont pas forcément très ergonomiques et pratiques à utiliser. Mais en se projetant, on se dit que si on continue à les développer, on pourrait avoir de meilleurs modes de vie.

Par exemple, plutôt que d’avoir des salles de fitness où les gens usent leurs muscles sur des machines qui ne servent à rien, on pourrait générer de l’électricité. Mille idées pourraient encore être développées pour avoir des modes de vie plus sains, beaucoup plus écolo et durable. 

Le festival de la low-tech 2022

6- C’est quoi la prochaine étape pour vous ? 

Le Festival de la low-tech a commencé le week-end dernier à Concarneau. Le siège de l’association Low-Tech Lab est basé justement là-bas. C’est d’ailleurs de là que nous sommes partis il y a six ans.

  • Save

On a organisé tout un village pour découvrir le monde des low-tech. On prévoit la projection du film “Wave of change”, grâce à l’énergie des gens qui pédalent à vélo. Il y aura une buvette, des concerts, des débats, des conférences, la visite du Nomade des Mers, la visite d’une maison qu’on a fait avec des low-tech aussi. Vous pouvez d’ailleurs encore vous y rendre puisque ça se passe du 25 juin au 3 juillet

  • Save

Après le festival, je compte repartir en vadrouille avec une nouvelle expérience d’autonomie dans le désert.

Avec Caroline, qui est designer spécialisée dans les low-tech, on va rester 4 mois en milieu aride dans le désert, au Mexique. On va tester une nouvelle version d’éco-système low-tech qui se veut plus futuriste que la première.

On a choisi le désert parce qu’il y a une grande partie des humains qui habitent en zone aride. 41% de la planète est aride et c’est des zones qui s’étendent de plus en plus chaque année.

On s’est dit que ce serait un bon challenge de montrer que même en zone aride où on ne peut rien cultiver, on peut réussir à être autonome grâce à toutes ces low-tech et de manière accessible à tous.