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Les petits tortillons de sable sur l'estran sont la trace de la présence de vers de mer / Photo Amap Piquy

Découverte & Recherche 9 juillet 2018

Comment le sang du ver marin peut révolutionner notre santé

[santé]

Une entreprise bretonne de biotechnologie invente un produit sanguin qui pourrait révolutionner les greffes notamment

Lorsque l’on écrase, pieds nus sur la plage, ses excréments, on est loin de se douter que le ver marin qui se trouve juste en dessous pourrait, un jour, nous sauver la vie. Le ver marin, ou arénicole, est, en quelque sorte, le champion du monde d’apnée. Il n’a pas de cerveau mais un coeur qui bat la chamade grâce à son sang capable de stocker l’oxygène. Il ne respire qu’à marée haute et retient sa respiration durant les 6 heures de la marée descendante. Son sang est donc 40 fois plus oxygénant que le nôtre. De plus, il est compatible avec notre organisme. Il a la santé plutôt solide puisqu’il vit sur les plages depuis 450 millions d’années.

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L’arénicole vit sous le sable, l’aspire et le rejette en format des petits tortillons – Illustration Kidisciences / Café Sciences.org

En clair:

  • l’hémoglobine du ver est universelle (O+)
  • son sang n’a pas de globules rouges. Cela explique son universalité, ainsi il n’y a pas de problème de compatibilité.

Une hémoglobine issue du sang du ver marin

Un homme connaît ce processus sur le bout des doigts. Le docteur Franck Zal est un expert reconnu mondialement dans le domaine de l’hémoglobine des invertébrés marins et leur transport d’oxygène, ex-chercheur en biologie marine au CNRS. Il a mis au point une protéine issue du sang du ver marin: une hémoglobine dont les propriétés pourraient révolutionner la manière de pratiquer les greffes et plus largement la médecine et notre santé. Basée en Bretagne, à Morlaix depuis 2007, sa société, Hémarina, est spécialisée dans les biotechnologies qui développent des transporteurs d’oxygène universels d’origine marine pour diverses applications thérapeutiques et industrielles.

En 2019, Hémarina commercialisera une molécule, sous le nom d’HEMO2Life. C’est ce nouveau produit sanguin issu de la mer qui pourrait bien alléger et sécuriser les interventions chirurgicales pour les transplantations mais aussi les l’infarctus du myocarde et l’AVC.

La course contre la montre du greffon

Dans le reportage de Camille Gaubert sur Sciences et Vie de cet été, le docteur Franck Zal explique que son produit permettra d’augmenter la durée de préservation des greffons. Aujourd’hui, il y a 23.000 personnes sur liste d’attente avant de pouvoir recevoir un greffons. Entre 500 et 600 malades décèdent faute de greffon. En outre, sur 100 greffons, la moitié devra être jetée: 20% parce qu’on n’a pas le temps de les transporter et 30% qui provoquent un rejet du greffon parce qu’il a été mal conservé (un poumon peut être conservé 6 heures, un coeur = 4 heures, un rein = 12 heures).

« Quand un organe est déconnecté de la circulation sanguine, c’est comme si l’arénicole était à marée basse. »

Conserver les greffons plus longtemps c’est gagner la course contre la montre, ou au moins une belle étape, dans le processus de transplantation.

Une greffe qui prend trois fois plus vite

En ajoutant son produit issu du sang de ver marin aux solutions de conservation d’organes à greffer, Hemarina a prouvé pouvoir allonger la durée de conservation des greffons de quelques heures à plusieurs jours. La société bretonne affirme que les chirurgiens pourront ainsi diviser par trois le délai de reprise de fonction de l’organe après la greffe. D’ailleurs, cet hiver en Bretagne, un patient a reçu une greffe de visage, opérée par le Professeur Lantiéri, grâce au produit d’Hémarina, pas encore sur le marché. Le chirurgien a obtenu une autorisation spéciale pour rendre un visage à son patient désespéré.

Pansements oxygénants

Franck Zal décline sa molécule sur des pansements oxygénants ou pour réoxygénéer les tissus touchés par un AVC ou un infarctus. Sur les plaies,  le manque d’oxygène empêche le démarrage du processus de cicatrisation et la multiplication des cellules de la zone lésée. Le pansement d’Hémarina est encore en développement mais pourrait être prochainement commercialisé.

Comme quoi, à l’image du ver marin, on peut ne pas avoir de cerveau et être utile pour l’humanité.

Gaëlle Richard